Reporter-Photographe

Derrière les images

Photographier en couleur ou Noir & Blanc ?

17/04/2021

Pourquoi avoir fait Sentinelles en noir et blanc et Covid19 en couleur ?

C’est une question qui revient souvent, et sa réponse se fait en plein de morceaux et autant de « temps photographiques »… Voici donc quelques raisons.

Pourquoi Sentinelles en noir et blanc ?

1 – Parce que j’aime profondément le noir et blanc
J’aime la façon dont on écrit des photos non plus avec des couleurs mais avec la seule lumière ou l’absence de celle-ci. Et qu’en 2016, quand je me lance dans ce projet personnel je suis une photographe professionnelle un peu frustrée que 100% de ses clients lui imposent de travailler en couleur (Ben oui, c’est con mais c’est comme ça, les entreprises pensent que la couleur « vend »). #CCMCCC

2 – Parce que le parisien ne regarde pas ce qui se passe devant ses yeux
Certes, j’écris « le parisien » mais vous pouvez lire « le public » en général, qui ne vaut pas mieux à ce sujet et ne prend plus le temps de regarder. Dans notre quotidien fait de sollicitations visuelles, et notamment numériques, on a collectivement perdu l’habitude de regarder ce que l’on a devant nos yeux (et qui peut être beau, moche, drôle, plein d’informations, triste, révoltant…). En revanche, « le public », toujours le même, se presse pour regarder une expo photo parce que c’est de l’art/de l’information/un moyen de s’évader/etc. #RayezLaMentionInutile
Donc en choisissant le noir & blanc, surtout dans ce domaine visuel qu’est l’iconographie parisienne, documentée par plein de photographes humanistes dont on a forcément en tête certaines images: Brassaï, Cartier-Bresson, Doisneau, etc. je tenais un moyen simple de rendre curieux ce même public, de l’attirer pour le faire « regarder » des images et non plus seulement « voir » son quotidien. Même si dans les faits, j’allais lui montrer précisément ce qui se jouait sous ses yeux au quotidien et auquel il ne prêtait pas plus attention que ça. #Malin

3 – Parce que ça met tout le monde à égalité
Et enfin, parce que le noir et blanc était un moyen de mettre à égalité d’une part les militaires, tous dans le même uniforme, sans couleur particulière; et d’autre part les parisiens sur lesquels ils veillent, qui eux portent des tenues très différentes et parfois de couleurs vives. Un moyen de revenir à leur dénominateur commun, l’humain. Avec le noir et blanc il n’était pas forcément facile de voir du premier coup d’œil qui était qui sur mes images, ce qui invitait plus facilement à trouver des points communs entre un visage de très jeune militaire en armes, et celui d’un étudiant sortant du lycée qu’il protégeait, par exemple. #Humain

vendredi 19 août 2016, 22h07, Paris VII. Militaire posté à l’entrée de l’Hôtel des Invalides pour assurer la sécurité des spectateurs se rendant à un spectacle nocturne.

Pourquoi Covid19 en couleur ?

1 – Parce que la couleur, c’est chouette aussi !
Ben oui, donc en 2020, avec la réalisation d’un chouette projet en N&B derrière moi, je n’ai plus de frustration particulière de ne pas spécialement bosser en noir et blanc au quotidien puisque dans ma musette j’ai mon livre Sentinelles et que je peux feuilleter les nuances de noir des très beaux tirages barytés qu’en avait fait l’Atelier Ooblik. Au quotidien, je continue a travailler la couleur, à construire des univers colorés, et je prends même un certain plaisir à aller chercher des nuances subtiles (un visage éclairé par un soleil couchant avec sa dose de jaune orangé, tandis que l’arrière plan est déjà à l’ombre avec sa dominante bleue… 😍)

2 – Parce que Bégin !!
Ceux qui y sont allés le savent bien: pour éviter d’avoir « des murs blancs d’hôpital » quand l’HIA de Saint-Mandé a été rénové/reconstruit, ils ont placé des murs de couleurs pastel PARTOUT. Du rose et du bleu layette, du vert clair, du parme et notamment cet espèce de jaune fluo atténué du hall d’accueil de l’hôpital qui a titillé la rétine de 100% des personnes qui y sont passées (j’ai failli refuser d’y exposer Sentinelles juste pour ce motif: rien ne va sur un fond jaune!). Rien que des couleurs que je n’aime pas en réalité ! Tout cet univers pastel, ça n’est pas le mien : mais il définit, mieux encore que « les murs blancs d’hôpital », les murs d’un univers médical, protégé et aseptisé. Alors pour partager au plus juste l’ambiance de ce lieu, il me semblait indispensable de le montrer sous ses vraies couleurs !

3 – Parce qu’un récit simple et humble se doit de l’être aussi dans sa chromie
Enfin parce que le livre n’allait pas être imprimé sur papier glacé (« brillant ») mais sur un papier non couché (celui des romans) qui allait rendre les couleurs pas trop claquantes ni contrastées et donc être « juste » dans une narration humble du quotidien, sans effet de style particulier.    

Le visage marqué, une étudiante-infirmière venue renforcer le service de réanimation de l’hôpital pour une rémunération symbolique respire l’air extérieur sur la terrasse après le 3ème décès au sein du service où elle a réalisé ses 12 heures de garde de nuit.

Et le prochain ?

Et bien ça dépendra de son sujet -qui n’est à cette heure pas défini- je déteste les couleurs pastels et pourtant j’ai fait tout un livre dans les tons pastels parce que ça faisait du sens (vous pouvez le découvrir ici), je suis photographe de reportage et donc du réel, de cette réalité en couleur, donc, et pourtant j’ai raconté les sentinelles en noir et blanc (que vous pouvez commander là).

Donc je ne m’interdis rien et je m’autoriserai ce qui fera du sens avec mon sujet et ma sensibilité du moment. On a tendance à l’oublier, mais les photographes évoluent aussi ! Ce qui peut se traduire par une évolution des thématiques abordées, ou de la façon dont ils traitent la chromie de leurs sujets par exemple. Et puis je crois qu’il est important en photographie de lier le fond et la forme, et donc de penser le traitement de la chromie de façon a ce qu’il soit partie intégrante du message et de l’histoire transmise. 

Je ne vous présenterai jamais une photo en noir et blanc « parce que c’est joli », mais « parce que ça fait du sens pour le message que je souhaite qu’elle porte » et il parait que c’est une des raisons qui font de moi un « auteur-photographe » et pas juste un « technicien qui appuie sur un bouton ». 😉

Sandra Chenu Godefroy, photographe indépendante

Sandra Chenu Godefroy

Photographe

Spécialisée dans les images de secours, défense, sécurité, et d’aéronautique. Fille sérieuse qui se prend pas au sérieux.

J’exploite honteusement Tigrou, mon assistant en peluche, et j’adore mon métier, même si c’est pas toujours facile !