On verra à l’autopsie !

Ceux qui travaillent à mes cotés ont l’habitude: quand, à l’issue d’un reportage, ils me demandent si j’ai fait de belles photos/les images que je voulais, je réponds systématiquement « on verra à l’autopsie* ». Comme ils me connaissent, plus personne ne se formalise, et je pense même qu’ils s’inquièteraient si je répondais autrement !

Il y a quelques temps, au carré officiers subalternes, le dernier matin d’un reportage en mer, dans le regard perdu et paniqué d’une jeune aspi en stage embrun à bord de la frégate La Fayette, j’ai compris que sans explication, cette réponse n’était pas forcément à la portée du commun (pour ma défense, me poser cette question au petit déjeuner était déjà un peu risqué).
L’autopsie ne se fait que sur des corps sans vie, et en effet, je conçois qu’employer ce terme puisse mettre mal à l’aise mes interlocuteurs. Et pourtant, même quand je rentre particulièrement crevée de reportage, la seule autopsie à laquelle je fais référence est celle des cartes mémoire de mes appareils. 

Autant que faire se peut, j’évite de décharger mes cartes et de traiter mes photos dans la foulée des prises de vue. Déjà parce que je n’en ai pas l’impératif, ce qui est très appréciable. Mais aussi parce que ça me permet de consacrer tout mon temps et toute mon énergie à ce qui se passe autour de moi, à capter des instants et à produire des photos. Sélectionner des photos et les retoucher ne nécessite pas d’être fait dans le temps de l’action. Et je sais par expérience que ces opérations sont mieux réalisées avec du recul, quand je ne suis plus dans le flux de ce qui se passe et que la dernière page du livre « réel » a été tournée.

Voila pourquoi l’image de l’autopsie me semble particulièrement à propos: quand je dépiaute mes cartes, il est trop tard, l’action s’est déjà réalisée. Si je n’en ai pas fait de photo satisfaisante, je ne pourrai pas remonter le temps, juste constater le résultat. Alea jacta est

*et puis la photographie, c’est la mort, Barthes l’a écrit et théorisé sur à peu près tous les registres possibles et imaginables alors c’est bon, je ne résiste plus.
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