Quand, dimanche dernier, je rejoins cet ami aux Invalides pour les courses solidaires, je sais déjà qu’il ira courir sous les couleurs de ses frères d’armes disparus. Comment pourrait-il en être autrement ? Cela fera 5 ans en novembre prochain. A mes yeux, c’est lointain, mais tellement proche à la fois.
La course est finie et tandis que nous nous restaurons, il me fait cette annonce à propos des indicatifs repris sur son T-shirt. J’entends bien, au timbre et à l’intensité de sa voix que pour lui ce ne sont pas juste trois mots et trois nombres. Ce sont des visages, des moments, des souvenirs…
En filigrane, il y a toujours la même question qui revient et obsède ceux qui restent : qui se souvient, aujourd’hui ? Mais surtout, qui, demain, se souviendra ? Qui racontera ceux qui sont morts, ceux qui ont été blessés dans leur chair, dans leur âme ? Quelle place nous autres vivants, gardons-nous dans notre mémoire pour le souvenir de ceux qui se sont engagés pour servir, et qui ont payé de leur vie leur engagement ?
Alors je suis assise là en face de lui, bien vivante, j’ai fait mon tour des Invalides, porté sagement mon Bleuet. Mais la question m’interroge. Le temps passe, les théâtres d’Opex s’ouvrent, se ferment, se succèdent, et avec eux arrivent, inéluctablement, de nouvelles victimes de leur engagement. Comment continuer à vivre dans le présent sans se priver de la mémoire du passé ?
Décider de ne plus employer les indicatifs de ces équipages disparus, pourquoi-pas ? J’aime à penser qu’ainsi il y aura des jeunes militaires qui tôt ou tard s’interrogeront quand une numérotation « sautera » un chiffre, et que ce sera là une occasion de se plonger dans l’histoire de leurs aînés et de continuer à transmettre leur héritage… et si la meilleure raison d’être des traditions militaires c’était celle-là : être interrogées et permettre de découvrir, de se souvenir, de réfléchir ?
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