Voilà, le COVID-19 est là, bien installé. On est tous confinés chez nous, prisonniers de notre propre intérieur. Certains prennent ça comme des vacances forcées et bouquinent ou regardent Netflix, mais souvent, ils ne sont pas indépendants… Quand je décroche mon téléphone, je suis confrontée à deux types de réactions chez mes confrères photographes: les inquiets et ceux qui s’adaptent.
Il y a ceux qui sont inquiets : ils ont eu des annulations de commandes, et les délais de règlement des commandes déjà réalisées vont s’allonger, donc nous nous apprêtons tous à moins encaisser, voir pas du tout. Et il y a ceux qui font contre mauvaise fortune bon cœur, on est tous logés à la même enseigne, il faut y passer et nous au moins, en tant qu’indépendants, le confinement ne nous fait pas découvrir l’isolement; alors tant qu’a être confinés c’est l’occasion d’avancer ses dossiers de fond, et de faire un travail intellectuel honnête sur notre activité puisqu’on est pas la tête dans le guidon du « comme d’habitude ».
Dans ce moment compliqué, la seule question que je pose aux copains indépendants qui m’appellent c’est « est-ce que tu as trois mois de trésorerie sur ton compte en banque au cas où ?« . Parce que ne nous voilons pas la face: on va être confinés durant un mois à l’heure où j’écris ces lignes, sans doute plus longtemps au final, et il faut se préparer intellectuellement à ce que durant ce temps, non seulement aucun client ne nous passe de commande, mais aussi que nos commandes déjà réalisées ne soient pas réglées (parce que les services comptables de nos entreprises clientes tourneront moins bien ou pas du tout). Et pendant ce temps là, il faudra pourtant continuer à payer toutes nos charges et frais professionnels, et continuer à payer son loyer et remplir son frigo.
Moralité: on va dépenser de l’argent, que nous n’aurons pas gagné… il y aura donc problème.
J’en entends certains évoquer le fait d’emprunter de l’argent à la banque pour passer le cap… je suis pas hyper fana de l’idée (parce que cet argent il faut le rembourser plus tard, avec des intérêts) mais bien sûr, quand on a pas le choix, on n’a pas le choix. Pour la même raison, je signalerai aimablement à ceux qui me lisent que jusqu’à présent les mesures évoquées par notre président, report des charges URSSAF et possibilité de diminution de l’acompte pour les impôts personnels… ne sont pas des « cadeaux »: juste une facilité de règlement, ce que vous ne paierez pas pendant le Covid-19, vous le paierez quand même, mais après. Et après, ce sera le moment où, l’activité reprenant, vous aurez déjà à sortir pas mal d’argent pour pouvoir assurer la production de vos commandes… qui ne vous seront payées que plus tard (ce qui met déjà intrinsèquement votre trésorerie en tension).
Tout est histoire de trésorerie
Alors voilà, je n’ai pas la prétention d’être comptable (la compta me gonfle, comme à peu près 100% des indépendants) seulement, la photo est un sport de riche, notre matériel est coûteux et notre activité nécessite de dépenser de l’argent pour produire. Donc il faut considérer cette donnée « argent » dans notre façon d’envisager une activité de photographe professionnel (et oui, je le répète, ce n’est que ça et en aucun cas le talent qui nous distingue des photographes amateurs !). Ça ne fait pas de nous de moins bons artistes, ça fait juste de nous des professionnels pragmatiques qui se donnent les moyens de réaliser leur art et d’en vivre.
Donc, pour avoir les moyens de faire ce métier de photographe il faut de l’argent pour payer deux grandes catégories de choses:
- les investissements déjà, il s’agit alors de dépenses plutôt coûteuses, mais dont nous pourrons profiter longtemps (le matériel photo ou informatique par exemple, qui nous servira plusieurs années);
- et les frais/charges, ce sont des dépenses souvent moins importantes, certaines sont régulières ou récurrentes (abonnement téléphonique/loyer), d’autres sont liées à notre activité (A/R pour un shooting, location de matériel) donc intrinsèquement variables.
Le temps de crise étant ce qu’il est, on va mettre entre parenthèse les investissements pour l’instant, considérant que nous photographes avons déjà investi au fil du temps dans le matériel qui nous permet de travailler dans de bonnes conditions, et que la période sera suffisamment courte pour ne pas faire d’investissement dans l’intervalle (Parce que si on « oublie » trop ses investissements, on peut avoir du matériel obsolète ou qui tombe en panne etc. donc ce n’est pas une attitude saine au temps long !).
Les charges du photographe indépendant
Concentrons-nous donc sur les frais et charges, pour ma part je les ai répartis dans 4 catégories:
- Les charges fixes régulières: elles ne varient pas (presque !) et le plus souvent sont payées à échéance fixes, les abonnements web et mobile, l’acompte prévisionnel des impôts, le pass Navigo, les assurances, la mutuelle, les abonnements logiciels, le loyer, l’électricité, etc.
- Les charges variables régulières: leurs échéances sont fixées, mais leurs montants varient selon ce que vous avez gagné sur une période précédente, les cotisations URSSAF et la TVA 4 fois par an, les cotisations IRCEC 2 fois par an, etc.
- Les charges ponctuelles directement liées à la réalisation d’une commande: cela peut être les frais de déplacement pour un shooting, la location de matériel spécifique, etc. au moins celles-là, quand vous ne travaillez pas, vous ne les payez pas !
- Les charges diverses: je range dans cette enveloppe tous les petits riens (qui s’additionnent !) qui sont nécessaires à votre activité pro, parfois ça va être payer le parking ou un café ou un Uber ou une ramette de papier ou une boite de stylos ou une clef USB… bref il y a trop de choses, ce sont jamais les mêmes et leurs montants sont trop faibles pour être décomptées une par une, mais il faut leur allouer une enveloppe globale quand même.
Je vous invite donc à identifier, par exemple à partir de votre comptabilité de l’année dernière (ça tombe bien, à cette époque-ci de l’année, normalement, vous devriez avoir pris le temps de bien mettre d’équerre votre compta 2019, pour pouvoir faire vos déclarations 2020 qui arrivent bientôt… sinon il n’est que temps, profitez-en!) les différentes charges que vous payez régulièrement.Pour vous aider dans cette tâche, je vous mets ci-dessous quelques items à checker:
Abonnements mensuels : téléphone, internet, mutuelle, Adobe Cloud, autres logiciels SaaS, comptabilité, site web, loyer (ou pourcentage de loyer), électricité
Paiements trimestriels : TVA, URSSAF
Paiements semestriels ou annuels : assurance RC, IRCEC, association de gestion agrée, prévoyance, hébergement site web et noms de domaines. Pour l’enveloppe à consacrer aux charges diverses, vous pouvez le faire au pifomètre, ou bien retirer de toutes vos dépenses 2019 (hors investissement!) les trois premières catégories de charges et diviser le résultat par 12 pour avoir une idée de la somme que vous allouez mensuellement à ce poste.
Une fois ce travail réalisé, et bien je vous invite à le reporter dans un tableau mensuel, ou bien que vous dessinerez vous même en fonction de vos besoins, ou bien en utilisant le mien que je vous propose de télécharger ci-dessous.
Tresorerie-pour-les-photographes-independants
L’objectif de ce tableau c’est de vous permettre de savoir quel est votre besoin de trésorerie mois après mois, et ainsi donc, de moins « naviguer à vue » en anticipant les dépenses importantes. Dans le cas particulier de l’épidémie de Covid, ça vous permettra aussi, en fonction de l’argent disponible que vous avez actuellement sur vos comptes (et en prenant en compte aussi la « rémunération » que vous prélevez mensuellement pour vous permettre de vivre, il faudra bien remplir son frigo et payer son loyer/pourcentage de loyer), de savoir si vous pouvez passer les 3 prochains mois sans rentrées d’argent sans problème particulier ou si il faut prévoir
1/ de diminuer votre acompte prévisionnel d’impôt et/ou de reporter vos charges URSSAF
2/ d’emprunter une somme d’argent pour vous permettre de passer la crise.
J’espère que cet article pourra être utile à quelques photographes en dehors du cercle direct de mes amis, on sait tous que la crise va être un mauvais moment à passer, que le risque est élevé pour les plus fragiles d’entre nous, qui ont des revenus assez faibles et pour qui l’activité photo représente leur métier et leur source de revenu. Alors on se soutient, on se parle par téléphone, Skype ou WhatsApp, on reste en contact, et on profite de cette mise au repos forcé pour sortir de la crise en étant de meilleurs professionnels qu’on y est rentrés.
Et si vous aussi vous avez de bons conseils à partager, réagissez ! #RestezChezVous #StopTheSpread #ConfinementTotal
D’ici là, suivez la veille et l’actualité de l’Union de Photographes Professionnels, qui intervient actuellement auprès du gouvernement pour obtenir une indemnisation et des conditions d’indemnisation réalistes pour les photographes qui seront fragilisés par cette crise (parce que pour l’instant 1500 euros sous réserve d’avoir une perte supérieure à 70% de son CA mensuel vis-à-vis de l’année N-1, vu les fluctuations naturelles de notre CA c’est pas du tout adapté).