« Arrête de dire que tu montes à l’appart familial, je te rappelle que j’ai un pote dans ton immeuble: je sais bien que tu te gares et que tu montes derechef dormir aux lacs… on se croise demain matin au café ? »
Mon interlocuteur est hilare. C’est « un gars de la montagne », un de mes plus vieux sujets de reportage, et depuis le temps, c’est devenu un ami. Le genre d’ami qui permet à la fois de mesurer le chemin parcouru, mais aussi d’intégrer certaines évidences peut être trop intimes quand on en est le sujet. Dans mon cas: cet ancrage aux cimes et lacs de montagne.
Et il a raison: si j’ai plaisir à « monter chez les parents » -qui n’y sont jamais-, en général, une fois arrivée à destination, mon sac à dos chargé d’un duvet et d’une tente selon la saison, je grimpe passer la nuit à 2000 mètres à proximité d’un des très beaux points de vue qu’offre la montagne. Je me couche tôt. Je me réveille et me lève au milieu de la nuit ou au crépuscule pour admirer les lignes de crêtes qui me font face, le reflet des astres sur la surface de l’eau..
Je prétexte souvent un moyen efficace d’améliorer l’oxygénation de la fille urbaine que je suis. Mais la vérité est simplement que j’aime m’offrir cette parenthèse de pure inutilité à l’écart du monde : mettre mes chaussures de marche, grimper jusqu’à la brèche nord, éteindre mon téléphone, de toutes façons il ne passe pas… monter ma tente, déplier mon duvet. Assise sur mon bloc de rocher, profiter des derniers rayons de soleil et de leurs jeux d’ombre, contempler le spectacle magnifique qui s’offre à mon regard. Manger un repas frugal. Dormir.
Et si le vrai monde, et si la vraie vie, c’était justement ça ?
Le lendemain matin, je replie et je redescends. Arrivée au café de la station, je rallume mon téléphone, et tandis que je me réchauffe le bout des doigts sur la paroi de ma tasse, je vois le téléphone qui s’agite, les notifications qui s’enchaînent. Le monde ne s’est pas arrêté de tourner. Mon absence est passée inaperçue, et la vie continue, comme si de rien n’était.
On est bien peu de chose.
[ + VOIR LE POST ]